Le 1er mai, quand je suis en France, je vais
manifester. J’ai beau être adhérent à la CFDT, je préfère passer mon après-midi
du 1er mai dans la rue plutôt que dans une salle de cinéma, surtout
qu’il fait souvent beau le 1er mai après-midi. Cette année donc,
c’était manif du 1er mai et pour la première fois, c’était manif en
famille avec la poussette. Poussette qui est, au passage, un support idéal pour
les autocollants des différentes organisations (et mention spéciale à LO qui en
distribue énormément).
N’ayant pas de point d’ancrage syndical cette année, on
cherche à rejoindre le point fixe du PS sur le boulevard de la Bastille
(boulevard qui est la première voie prise par le cortège). Il est 14h30, je
fais un aller/retour sur le boulevard car le cortège n’est pas encore parti
mais le PS n’est pas clairement visible. Lors de cet aller/retour, on se dirige
presque inconsciemment vers le grand drapeau de la Catalogne indépendante.
C’est un classique du 1er mai, des représentants de nombreux peuples
se joignent au cortège pour porter leurs revendications. Les Catalans sont à
côté du stand de la LDH mais nous n’allons pas prendre le temps de chercher des
visages connus. Sur le large trottoir derrière les Catalans, des centaines de
jeunes en noir sont en train de s’habiller, de se préparer avec masques,
capuches et protections. Plus que leur tenue, c’est leur nombre qui impressionne.
Ni une, ni deux, on les traverse avec la poussette avec pour seul objectif,
rejoindre la chaussée puis rejoindre une intersection avec une autre rue,
histoire d’avoir une échappatoire quand ces gens vont se mettre en route car
aucun doute possible, ça va bastonner, reste à savoir où, sur qui ou sur quoi.
Le reste du boulevard est calme comme un début de manif. Ça
sent le barbecue, les organisations non syndicales se montrent en bord de rue
et énormément de monde, des jeunes, des familles, des retraités (ou des
personnes qui ont suffisamment de cheveux gris ou de rides pour se faire passer
comme tel), bref le monde de gauche dans sa diversité et pas que des syndiqués.
Je retrouve même le PS ! Heureusement que j’avais l’adresse du point de
rendez-vous car sans drapeau, sans banderole, sans tract, pas de signes
distinctifs si ce n’est 3 caméras devant Olivier Faure et quelques pin’s au revers
de la veste d’une poignée de militants. C’est bien beau d’être présent dans les
manifs mais si c’est de façon cachée, ça ne sert à rien. Je suis sûr que dans
le cortège d’hier, personne n’a su que le PS était présent. Ce qui signifie que
dans l’inconscient des manifestants, si le PS est absent de ces grands
rendez-vous, c’est qu’il abandonne les travailleurs, les revendications.
Il est 15h30 quand la tête du cortège passe devant moi. Pour
qu’il n’y est pas d’ambiguïté, je parle de la tête officielle, celle qui marque
le début de la manifestation organisée par les syndicats et qui donne le rythme
au reste de la manif. Impossible de se tromper, les premiers rangs sont les
gros bras du service d’ordre de la CGT, suivis par d’autres gros bras de la CGT
qui entourent Philippe Martinez et des représentants de Solidaires, de la FSU
(et surement de FO). Ici aucun risque d'avoir des casseurs, lee service d'ordre est important et bien organisé. Je les laisse passer et ma petite famille et moi nous nous
insérons dans le cortège. Encore une fois, je remarque qu’au milieu des
CGTistes qui sont là avec leurs banderoles et leurs mégaphones, il y a du
monde, toujours beaucoup de familles qui s’insèrent, doublent, bref qui sont
impatientes de marcher vers Place d’Italie.
Un peu avant 16h, nous avons avancé de 400m et sommes sur le
Pont d’Austerlitz. Le cortège stationne. On voulait doubler la tête du cortège
pour rejoindre des amis de l’autre côté du pont, mais il y a beaucoup trop de
monde pour doubler facilement avec la poussette. De toute façon, il fait beau,
on est là pour manifester, autant patienter un peu.
Il est environ 16h15. Ça fait plus de 15 minutes que nous
sommes à l’arrêt. Le temps est long. Certes les quelques feux d’artifice tirés
en l’air au niveau de la gare d’Austerlitz m’amusent, mais le temps est long
tout de même. Famille moderne, on en
profite pour prendre des nouvelles de la manifestation à laquelle on participe
en regardant ce qu’il s’en dit sur Twitter. Ça commence à déchanter, nos
rencontres du début d’après-midi sont passées à l’action et ont détruit un
McDo ! On est toujours au milieu du pont, on voit par moment de la fumée s’élever
devant nous. Mais aucune information sur le pont à part notre Twitter (en même
temps qui aurait pu donner une info ? sur la base de quoi à part des « on
dit » des réseaux sociaux ?). On avance donc, on double par les
trottoirs la tête du cortège, à la recherche de nos amis à l’avant.
A 16h30 nous sommes au carrefour devant le jardin des
plantes. Fumée noire (voiture en feu surement) devant nous et sur les quais
haut à notre droite un gros mouvement de CRS. On se regarde avec d’autres
familles autour de nous, tous avec nos poussettes. On s’avance vers la descente
sur les quais bas au cas ça tourne au vinaigre. On ne va pas attendre du tout
au final. Les CRS sont nombreux et prêts à intervenir. D’autres sont sur la
rampe d’accès aux quais bas et filtrent pour ne laisser qu’une personne à la
fois descendre. On espère tous (car nous sommes nombreux à fuir la future
bataille d’Austerlitz) que ça ne va pas dégénérer trop vite sinon tout le monde
ne pourra pas accéder sur les berges de Seine.
Des bords de Seine, nous verront les mouvements de recul du
cortège sur le pont. Nous partons de ces berges quand nous voyons un camion à
eau de la police se positionner à notre niveau, face à la rue longeant l’autre
côté du Jardin des Plantes. On avance jusqu’au Pont de Sully et on voit des
mouvements de foule sur le Pont d’Austerlitz. Est-ce des CRS ? Est-ce des anars
qui se font refoulés ? On n’en saura pas plus. Pendant ce temps là, un nouveau cortège s'est formé sur le quai St Bernard, surement des gens qui ont fui le pont d'Austerlitz par l'avant. Je m'inquiète un peu pour eux. Seuls 3 policiers sont présents pour surveiller le carrefour qui est bien sur ouvert à la circulation. Ce contre cortège créé sur la tas n'a pas de service d'ordre, pas d'itinéraire, juste une envie de continuer à marcher dans le calme tout en évitant les affrontements en cours.
Pendant ce temps là, par téléphone, des
personnes toujours sur le boulevard de la Bastille nous disent qu’ils sentent
les gaz lacrymo de là où ils sont ! Après coup, il semblerait que les
forces de l’ordre n’aient pas que gazé les casseurs mais aussi l’autre
extrémité de la manifestation pour la faire partir…
On prend notre temps avant de rentrer chez nous, on profite
des voies sur berges piétonnes pour flâner encore un peu et donner le goûter au
bébé manifestant. Quand on arrive à 200m de chez nous, des jeunes nous
demandent de ne plus avancer, nous prévienne que ça gaze partout à Bastille
(étonnant je pensais que les cagoules noires étaient de l’autre côté de la
Seine). On continue d’avancer vers chez nous et 100m plus loin des jeunes (pas
des Black Blocks) lancent des insultent, d’autres nous crient de ne plus
avancer avec la poussette. En fait des CRS sont dans notre rue, presque devant
chez nous, en train de reculer face à une poignée d’adolescents les insultant
et appelant à imiter les manifestants arméniens. Je n’ai aucune idée de ce qu’il
s’est passé sur ces lieux avant mon arrivée. Deux minutes plus tard ma rue aura
retrouvé son calme habituel. Les CRS auront retrouvé leurs camarades et les
jeunes les leurs.
Quel est le but de ce récit ?
Rappeler que la manifestation du 1er mai avait
tout pour être un véritable succès. Les gens étaient présents et je ne sais pas
comment le décompte a pu être (que ce soit par la police ou la CGT) puisque le
cortège n’a pas pu se lancer entièrement puisque bloqué beaucoup trop tôt par
la violence anarchiste.
Rappeler que manifester n’est pas synonyme ni de violence,
ni de soutien sans faille à la CGT. Manifester le 1er mai, c’est
soutenir les salariés en lutte (cheminots, employés de Carrefour mais aussi
ouvriers de PSA, salariés sans papier, personnels des hôpitaux). C’est soutenir
le fait qu’une autre politique du travail existe, que le dialogue social ne peut
pas être que parler dans le vent face aux représentants du gouvernement. C’est
aussi rappeler que d’autres peuples souffrent et luttent pendant que notre gouvernement
attaque les travailleurs et les immigrants.
Enfin, c’est aussi rappeler que même si des actions
ultra-violentes ont lieu à Austerlitz sur la rive gauche de la Seine, ça ne
veut pas dire que les forces de l’ordre ont le droit de maltraiter des personnes
qui attendent de pouvoir manifester rive droite. Ce n’est pas parce qu’il y a
de la casse à Austerlitz à 16h qu’il doit y avoir du tabassage en règle dans le
Quartier Latin à 19h.