mardi 12 janvier 2016

Une primaire pour les rassembler tous ?

L’initiative a été lancée hier dans Libé. Des hommes et femmes de différents horizons appellent à l’organisation d’une grande primaire de la gauche pour désigner le candidat unique de la gauche à l’élection présidentielle de 2017. Il faut lire leur argumentaire, il est très bien. Je le trouve juste dans les constats sur la nécessité de revivifier la politique, de permettre l’émergence de nouvelles idées et de nouveaux visages. En plus étant un grand partisan de la primaire de 2011, où déjà à l’époque je regrettais que les camarades écolos et communistes ne veuillent pas se joindre à nous, je serais mal placé pour ne pas saluer l’initiative, mais… car oui, il y a plein demais.

Mais la situation n’est pas la même qu’en 2011. En 2011, la France a un président de droite depuis 1995 (ce qui signifie que les plus jeunes électeurs n’ont pas de souvenir d’un président de gauche). En 2011, ça faisait 9 ans (depuis 2002) que la gauche n’avait pas été aux manettes d’un gouvernement. A l’époque, il était nécessaire d’ouvrir le plus possible le mode de désignation du candidat de façon à obtenir un candidat (ou une candidate) fédérant le plus sur son nom pour battre Nicolas Sarkozy ou tout autre prétendant à sa succession. L’opération fut un énorme succès tant l’attente était forte. A présent, nous avons un président en place, certes contesté, mais en place et au boulot jusque mi 2017. Déjà que l’on voit venir les critiques sur sa façon de concilier son action de président et de candidat pendant la campagne de 2017 (pas la peine de faire les surpris, on a fait le même coup à Sarkozy en 2012), on ne va pas ajouter une année de campagne supplémentaire au candidat Hollande.

Mais le calendrier est trop juste. La primaire de 2011 fut un succès car elle a commencé a être préparée bien en amont. Ce n’est pas en janvier 2011 que le PS a commencé à réfléchir aux modalités du scrutin. Ici, on ne connait rien des modalités, des conditions de candidatures, des conditions de scrutin. Tout devrait être organisé en quelques mois et au moindre faux pas c’est le fiasco pour ces primaires, la campagne présidentielle commencerait très mal et l’image serait ternie pour des prochaines tentatives. Bref, c’est la cata assurée pour de nombreuses élections.

Mais la volonté de faire émerger de nouveaux visages est déjà foutue. Dans le Libé d’hier, un tour d’horizon des prétendants est brossé. On retrouve Cécile Duflot pour Europe Ecologie – Les Verts, Pierre Laurent pour le Parti Communiste, la question se pose pour Jean-Luc Mélenchon, puis quelques socialistes ouvertement en désaccord avec la ligne présidentielle Benoit Hamon et Arnaud Montebourg. C’est ça l’éclosion de nouvelles personnalités ? La possibilité d’une candidature issue de la société civile ou du monde associatif est évoquée pour donner plus de consistance à une primaire vraiment ouverte. Qui va croire que cette personnalité aura assez de crédit pour gagner les voix d’une majorité de Français le soir du 1er tour de l’élection présidentielle, quand ces mêmes Français restent convaincus que Ségolène Royal n’avait pas la « carrure » d’une présidente de la République ou que Jean-Michel Baylet en 2011 a porté une candidature atypique mais pas vraiment sérieuse ?

Pourtant il faut faire quelque chose pour donner un élan et du contenu à la future campagne de François Hollande. On pourrait imaginer cette primaire sans François Hollande mais avec un porte-parole, son futur directeur de campagne par exemple, qui participerait au débat et se ferait le porte-voix d’un président trop occupé à sa tâche que les Français lui ont confié pour 5 années et non 3,5. Cette possibilité ne résout en rien la contestation sur le calendrier et les modalités d’organisation alors mettons là de côté.

Autre possibilité, ne pas organiser une grande primaire de la gauche et des écologistes mais un grande consultation nationale de la gauche et des écologistes pour construire un programme commun visant à alimenter le programme du candidat Hollande (ou le candidat de la gauche et des écologistes s’il ne se présente pas au final). Si on veut redonner de la consistance au débat politique, alors concentrons-le sur les idées et non sur les personnes. Si on veut pouvoir piocher dans les idées issues des Français, du monde associatif ou syndical, alors construisons un programme qui reprend certaines de leurs propositions. Bien sur, on m’objectera qu’à quoi bon construire un programme si celui-ci n’est pas suivi. La réponse est simple, quel que soit le candidat désigné, il y a peu de chance qu’il suive 100% de son programme. De plus, on peut critiquer certains choix de Hollande sur les questions sécuritaires qui n’étaient pas dans son programme mais une très large majorité de ses 60 propositions ont été mises en œuvre. 
L'avantage de cette grande consultation nationale serait aussi d'ouvrir un débat à gauche dans la même période que les primaires à droite (qui eux ont bien besoin d'une consultation pour définir un chef de file). Ainsi les chaînes d'infos ne seraient pas trop embêtées et pourraient essayer de respecter les temps de paroles des différents partis, tout en offrant des débats et des conférences idéologiques et programmatiques et pas uniquement des querelles d'égos. 

Cette fois-ci, je passe mon tour. Je ne soutiens pas l’initiative d’une primaire de toute la gauche pour désigner le candidat de 2017. En revanche je suis convaincu que les moyens exprimés pour ouvrir le débat doivent être mis en œuvre pour la construction du futur programme. Il faut aussi développer dès à présent ce concept pour que ce concept ne soit pas une idée en l’air mais que son principe soit bien ancré dans les esprits afin qu’une primaire ouverte à toute la gauche, aux écologistes, au monde associatif et au monde syndical puisse être possible en 2022 quand François Hollande ne pourra plus se représenter.

jeudi 7 janvier 2016

Je suis toujours Charlie

Il y a un an je découvrais avec effroi le massacre de Charlie Hebdo. Choqué, les larmes aux yeux, le soir je m’étais dirigé comme beaucoup de Parisiens vers la Place de la République, rencontrant au hasard des amis et ne retrouvant pas ceux à qui j’avais donné rendez-vous. Tout comme pour le 11 septembre 2001, je pense que je me souviendrais longtemps de ce 7 janvier 2015, de ce que je faisais quand j’ai appris la nouvelle, de cette journée et des suivantes, jusqu’à la grande et belle manifestation du 11 janvier. Je découvrais lors de cette semaine noire que j’étais Charlie. Je n’avais pas acheté leur hebdo depuis mes années d’étudiants et pourtant j’étais choqué.

Cela fait jour pour jour un an que je suis toujours Charlie. Il y a un an, je ne savais pas que ce 7 janvier n’était que le point de départ d’une année terrible. Depuis, je fus aussi Danois puis Tunisien (à deux reprises) avant de finir Paris et Bataclan. 2015, année schizophrène ? Au contraire, en étant Charlie, en étant Danois, en étant Sousse, en étant de la génération Bataclan, je me suis découvert moi, personnalité unique au sein d’une communauté universelle, la communauté du monde moderne et libre.

Le 7 janvier, j’étais choqué qu’en France, des terroristes religieux puissent prendre les armes contre la liberté d’expression. Je me savais blogueur, je me savais privilégié de pouvoir écrire mes propres pensées, de donner mon avis contrairement à Raif le Saoudien, Razan la Syrienne et de trop nombreux autres.

Puis je me suis découvert Danois. Ce ne fut pas difficile, j’étais déjà Suédois depuis mes études puis Utoya en soutien avec les jeunes socialistes norvégiens victimes de l’extrême-droite. En visant une table-ronde, en visant la liberté d’expression une nouvelle fois, ailleurs en Europe, c’est toujours cette image de moi qui était visée.

Je fus Tunisien, d’abord Bardo puis Sousse. Je fus Bardo, sans trop me poser de question puisque curieux des autres cultures. C’est tout un symbole que de vouloir attaquer une nouvelle démocratie par la culture. Tel un taliban haineux contre des bouddhas géants ou tel un daesh qui n’apprécie pas que des temples millénaires puissent le narguer lui qui ne sera qu’éphémère, les attaquants du Bardo ont voulu montrer leur amour profond pour l’ignorance et l’inculture. Quelques mois plus tard, rebelote à Sousse, contre des vacanciers car la plage aussi semble déranger daesh.

J’étais Sousse, j’avais en-tête Alain Bashung répétant son « hier à Sousse / hier à Sousse / demain Paris / demain Paris / aucun cadran n’affiche la même heure / aucun amant ne livre la même humeur » quand je suis devenu Bataclan. Apothéose morbide d’une année où des fanatiques de violence ont décidé de cibler tout ce qui fait que je suis libre. En visant la liberté d’expression, en visant la culture, en visant la détente et les sorties, ils n’ont pas visé une culture, ils n’ont pas visé des personnes, ils ont visé la modernité en mettant en avant leur archaïsme.

Dans son édito de Charlie Hebdo, Riss explique que Charlie a fait l’erreur de croire que les menaces faisaient parties du passé alors que « la religion ne connaît pas le temps. Elle ne compte pas en années ou en siècles, car elle ne connaît que l’Eternité. » Ne faisons pas la même erreur, c'est pour cela que je suis toujours Charlie et que je le serais encore longtemps.