Durant mes vacances, j'ai lu pour la première fois l'excellent journal de Jean Zay emprisonné, "Souvenirs et solitude". Au delà de son quotidien de prisonnier, l'ancien ministre du Front Populaire revient aussi sur la politique menée avant 1939 tant au niveau culturel qu'éducatif. Il livre aussi ses pensées sur le monde la France de son époque ou sur le fonctionnement des institutions politiques, parfois avec un œil désabusé, parfois avec beaucoup d'humour.
A plusieurs reprises, j'y ai lu des passages pouvant s'adapter à notre époque. Le plus frappant est le chapitre dont je vais vous partager un extrait, chapitre daté du 22 novembre 1942 :
[...] En France, il n'y avait pas de Nicholson installé aux Champs-Élysées. Mais il existait mille Nicholsons - souvent sans talent, ni moralité - dans la presse, les cabarets, les meetings. Leur raison d'être consistait à tourner en dérision les hommes chargés des destins du pays, à rendre suspectes toutes leurs intentions, à exciter la haine contre eux. Sans doute ces hommes commettaient souvent des fautes graves ; ils prêtaient le flanc aux reproches ; ils relevaient de la libre critique. Mais le plus souvent ce n'était point leurs idées ou leur œuvre qu'on traînait sur les tréteaux ; ces sujets austères n'eussent point égayé le public. C'était leurs personnes, leurs ridicules physiques vrais ou imaginaires, leur vie intime calomniée. Revuistes ou échotiers s'efforçaient de rendre grotesques ou odieux les hommes publics de leur pays, sans même se soucier des auditeurs ou des lecteurs étrangers qui les observaient avec un mauvais sourire. Nous ne sommes pas l'Angleterre ; ces "moqueries permises", qui étaient bien plutôt dans la plupart des cas de pures diffamations, "ôtaient beaucoup au respect". Si ces caricatures "ne faisaient pas de rebellions", elles travaillaient à créer peu à peu dans le public une désaffection des hommes d’État et du régime. Elles répandaient un scepticisme désabusé, un dégoût de la vie publique, une mauvaise conscience. Elles stérilisaient les enthousiasmes. Elles affaiblissaient la cohésion nationale. Elles divisaient et surexcitaient. Les Français souffraient, a-t-on dit, de n'avoir personnes à aimer : on ne leur apprenait qu'à railler.
[...] La France était bien devenue le "paillasson" que représentait un dessin symbolique d'avant-guerre, mais ce n'était point les étrangers qui s'y essuyaient les pieds, c'étaient des Français.
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