dimanche 8 juin 2014

"2 jours, 1 nuit", l'incroyable regard des frères Dardenne

Avec leur dernier film, "Deux jours, une nuit", les frères Dardenne sont arrivés avec une sérieuse question, jusqu'où peut aller la solidarité entre employés ? Dans leur film, Marion Cotillard, employée dans une petite entreprise de fabrication de panneaux solaires, est sur le point de se faire licencier. Le patron de l'entreprise a laissé le choix aux 16 autres ouvriers : soit ils reçoivent une prime de 1000€ et le personnage joué par Marion Cotillard est viré, soit ils refusent leur prime pour conserver le poste de leur collègue.

Dans un très beau film, simple, épuré, Jean-Pierre et Luc Dardenne se contentent de montrer les questions légitimes que se posent ces employés. C'est bien le sort d'une de leurs collègues qu'ils ont entre leurs mains mais en face c'est un chèque de 1000€, plus qu'utile quand on a un travail payé pas beaucoup plus haut que le minimum salarial. 

Ce dilemme au coeur d'une fiction au cinéma trouve une résonance dans les politiques du travail que l'on croise en France depuis 2007. Le "travailler plus pour gagner plus" de Nicolas Sarkozy n'est ni plus ni moins que l'adaptation de la proposition de ce patron. Pourquoi embaucher une personne supplémentaire alors que les employés, sous couvert de quelques heures sup' peuvent y arriver ? Ou pourquoi augmenter les salaires de ces employés, offrons leur une prime exceptionnelle de 1000€ (tiens, ce n'était pas le montant de la soit-disante prime Sarko ?) pour qu'ils soient tranquilles. Dès le mois d'après, ils retrouveront les mêmes difficultés à boucler leur budget, à payer les factures d'électricité et de gaz, mais ils auront toujours leur boulot.

Les frères Dardenne arrivent à montrer sans lourdeur les dégâts que peut provoquer le harcèlement moral d'un contremaître tout puissant et un patron qui ne se préoccupe aucunement des problèmes de conscience qu'il impose à ses salariés. Là aussi on retrouve un autre écho avec une loi récente autorisant le don de RTT d'employés pour leurs collègues ayant des enfants avec de graves problèmes de santé. Encore une fois, c'est aux employés de faire des efforts, de faire des heures supplémentaires pour collecter ces précieux RTT, uniquement dans le but d'aider leurs collègues sur lesquels s'acharnent le sort et la santé. La direction ne peut qu'être heureuse, aucune perte de production n'est à prévoir grâce à une solidarité difficilement refusable entre collègues.

Les frères Dardenne fournissent avec "Deux jours, une nuit", un magnifique instantané de cette société où la peur du chômage et la perte du pouvoir d'achat côtoient l'amitié et la solidarité. Cette année à Cannes, ils ont reçu la mention spéciale du jury œcuménique, jury qui souhaite (d'après Wikipedia) ainsi récompenser les films qui "montrent des hommes et des femmes en prise avec la réalité de la vie, la souffrance et la joie. Tous les films primés permettent [...] à tous les spectateurs de réfléchir sur leur condition." Description qui colle parfaitement à ce film. A voir.

A lire également les commentaires de Juan de Sarkofrance sur ce film : https://sarkofrance.wordpress.com/2014/06/02/deux-jours-une-nuit/

6 commentaires:

  1. je partage cette analyse...Une lectrice convaincue mais peu fière de son manque de militantisme

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    1. Traverser l'Europe pour une association d'aide aux aveugles, c'est aussi du militantisme, bien plus physique qu'écrire sur un blog ou de distribuer des tracts ;)

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  2. Moi, ce qui m'étonne toujours, c'est qu'on puisse regarder volontairement un film des frères Dardenne.

    (Et aussi un film où "joue" la Cotillard, du reste…)

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    1. Aussi incroyable que cela puisse paraître, Marion Cotillard est excellente dans ce film. Il ne faut pas s'enfermer dans des préjugés.

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    2. Ce n'est nullement un préjugé, mais le résultat de deux ou trois expériences télévisuelles assez affligeantes. Depuis, j'ai décidé d'en rester là avec cette dame.

      De toute façon, j'évite tous les films français qui ont moins de 50 ans de cave. Et ce n'est pas non plus un préjugé !

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  3. merki pour le lien. Très bonne analyse !

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