jeudi 10 avril 2014

L'obligation de déconnexion

Il est rare que des nouveautés positives pour les droits des salariés ne sortent du SYNTEC. Le Syntec est une fédération d’entreprises dans le domaine de l’ingénierie, des services en informatique, du conseil, et de la formation professionnelle. Cette fédération est membre du MEDEF et est réputée pour avoir une des conventions collectives des moins avantageuses pour ses salariés. Pourtant sous l’impulsion de la CFDT et de la CFE-CGC, une sacrée nouveauté vient d’être signée pour les cadres au forfait jour : le droit à la déconnexion.

Qu’ils sont nombreux ces cadres à avoir l’honneur d’avoir un smartphone et un forfait data gracieusement payés par leur employeur. Ces engins sont adorés du grand public puisqu’ils permettent d’avoir accès à ses mails 24h/24, permettent d’utiliser des applications plus ou moins utiles donc absolument indispensables et, comme tout téléphone, rendent la personne joignable à tout moment, où qu’elle soit. Si leur utilisation dans un cadre privé représente des avantages indéniables, dans le cadre professionnel c’est une autre histoire. En fournissant un smartphone à son salarié, le manager pouvait se croire permis d’appeler à tout moment du jour ou de la nuit son cadre préféré ou pouvait s’attendre à recevoir par retour de mail la dernière présentation powerpoint mise à jour un dimanche après-midi car devant être présentée au Big Boss le lundi après-midi.
Difficile pour un cadre consciencieux, à qui l’on a toujours répété que dans son métier il ne fallait pas compter ses heures, d’ignorer les mails de ses collègues en difficultés ou de ses supérieurs stressés.
Difficile psychologiquement pour un salarié de faire abstraction tout un week-end de ce mail incendiaire apparu sur l’écran de son mobile un vendredi soir à 22h.

Cette difficulté est prise en compte et est combattu dans le dernier avenant à l’accord national sur la durée du travail de la branche des bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs-conseils, sociétés de conseils. Cet avenant stipule pour les salariés au forfait 218 jours (soit la plupart des cadres) que :

« Les salariés ne sont pas soumis aux durées légales maximales quotidiennes et hebdomadaires. Ils bénéficient d’un repos quotidien minimum de 11 heures consécutives et d’un repos hebdomadaire de 35 heures minimum consécutives.
Il est rappelé que ces limites n’ont pas pour objet de définir une journée habituelle de travail de 13 heures par jour mais une amplitude exceptionnelle maximale de la journée de travail. 
A cet effet, l’employeur affichera dans l’entreprise le début et la fin d’une période quotidienne et d’une période hebdomadaire au cours desquelles les durées minimales de repos quotidien et hebdomadaire visées ci-dessus devront être respectées.»
La grande nouveauté est le paragraphe qui suit :

« L’effectivité du respect par le salarié de ces durées minimales de repos implique pour ce dernier une obligation de déconnexion des outils de communication à distance. »

Voila qui est dit ! Un salarié a pour obligation de déconnecter intégralement de son travail au moins 11 heures par jour et 35 heures durant le week-end. De plus ces périodes de déconnexion ne sont que des périodes minimales pour répondre à une activité exceptionnelle. Ce qui signifie qu’en charge ordinaire, le salarié doit fermer son téléphone et son accès aux mails bien plus longtemps.

Adrien, fraichement élu dans le 13ème arrondissement de Paris (bravo à lui), se félicite aussi de cette nouveauté dans son blog mais souligne que ce progrès commence à être source de raillerie dans la presse anglo-saxonne. Il précise qu’en Allemagne, l’entreprise Volkswagen bloque ses serveurs de messagerie pour que ses employés ne reçoivent pas de mails sur leur Blackberry entre 18h15 et 07 heures.
Je rajoute que Microsoft France agit de la même façon en interdisant à ses managers d’envoyer des mails entre 20h et 8h à leurs subalternes et en interdisant également l’organisation de réunion après 18h (de mémoire).
On ne peut pas dire que Microsoft ou Volkswagen soient des entreprises déclinantes ou réputées pour leurs employés tir-au-flancs.

Cette avancée est une véritable avancée pour le respect de l’équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle. Des salariés joignables 24h/24 ne sont pas plus performants, ils risquent même de l’être moins sur le long terme puisque plus sujets au stress, à la fatigue et autres risques psycho-sociaux. En revanche, des salariés assurés de pouvoir mener de front une vie familiale active et une vie professionnelle toute aussi active, seront surement plus disposés à accepter l’emploi de nouvelles technologies connectées puisque ces nouveaux outils n’interféreront pas avec leur vie privée.

On retiendra qu’une nouvelle fois CGT, FO et CFTC ont préféré s’abstenir et garder un statu quo défavorable au salarié. Merci à la CFE-CGC et à la CFDT d’avoir signé cet accord de progrès en espérant que cette avancée soit appliquée très prochainement à tous les secteurs d'activités.

8 commentaires:

  1. On est d'accord (y compris sur les derniers paragraphes mais ce n'est pas l'objet de mon commentaire).

    Mais c'est dommage de devoir faire un accord sur un truc de non sens. J'ai connu le problème, pas à un point dramatique mais mon chef passait des journées à faire des trucs commerciaux et revenait vers des salariés à des heures impossibles. Rien de méchant mais il ne se rendait pas compte.

    Par contre, ce que je voulais signaler c'est que les usages ont changé. Cet accord vient trop tard. Dans les entreprises, on ne se téléphone plus (donc plus à des heures incroyables) à part quand c'est réellement nécessaire. Et dans les mails, on n'exige plus des réponses immédiate. Ainsi, et je vais être grossier, si un cadre n'arrive pas à résister à une hiérarchie qui le fait chier, c'est qu'il est mauvais.

    Pendant des années, j'ai eu un portable professionnel, je n'y répondais jamais en dehors des heures normales si je n'avais pas envie.

    Ainsi, cet accord va à l'encontre de l'intelligence collective. Et je suis sérieux. Dans la pratique, un salarié contacté par son chef à 23 heures ne refusera jamais de répondre. L'accord va permettre de résoudre trois cas par an. Mais des milliers de clowns continueront à être emmerdés parce qu'ils n'oseront pas ouvrir leur gueule et n'auront pas, comme moi, osé ne pas répondre.

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    1. Sur les mails, ok, on n'attend pas de réponse immédiate. En revanche, un mail reçu, sans obligation de répondre, peut provoquer stress et inconfort sur une soirée ou un week-end.
      Le but de l'accord est justement de protéger par la loi (ou les accords de branche), le droit à la déconnnexion et donc de protéger tout salarié qui aurait eu l'audace de refuser de répondre à un message mail.
      On protège ainsi tout salarié d'un motif de licenciement pour faute professionnelle.
      De plus, et surtout, le texte parle de d'obligation de déconnexion, quel que soit le support (d'aujourd'hui ou de demain).

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  2. Ah mince, moi je me déconnecte quand je suis au boulot ;-) Alors, si je reçois un coup de fil ou un mail en dehors des heures, ça compense.

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    1. Les cas particuliers sont fait pour être gérés de manières uniques. L'objectif de cet accord est de protéger ceux qui sont trop "actif", pas de punir ceux qui seraient "trop inactifs".

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  3. Je suis complètement d'accord avec Jégoun. Anecdote perso: si je n'avais pas décroché un soir en vacances, en plein barbecue, sur mon bateau, au mouillage des Conigli sur l'île de Lampedusa, je n'aurais jamais fait cette mission de 3 mois en Nouvelle Calédonie. Et bien qu'on n'amène pas ses saucisses à Strasbourg, j'ai amené mon épouse avec moi, pour compenser les vacances interrompues.

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    1. Il va falloir que tu expliques sur ton blog cette vie ! (ou alors tu as un blog qui n'es pas dans ta bio twitter qui le fait déjà).
      L'objectif de cet accord est d'empêcher tout licenciement pour faute de n'avoir répondu alors que le salarié était connecté sur les frais de l'entreprise. Le but est d'empêcher cette raison d'intervenir dans les discussions d'entretiens préalables à licenciement ou dans les lettres de licenciement.

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    2. Les syndicats ont été créés pour protéger les plus faibles, je suis d'accord, et tu as raison de le rappeler.
      Je n'avais pas trop l'intention d'écrire ma biographie complète. Je vais y penser lol. Ma bio twitter pointe sur mon vieux blog http://lysigee.wordpress.com/about/ qui date mais dont les infos sont toujours valides. Je peux juste rajouter que dans ma carrière professionnelle, j'ai œuvré en France et en Europe dans la chimie, l'agroalimentaire, la construction navale, les pneumatiques, au Maroc et en Nouvelle Calédonie dans les mines. Je dois rajouter honnêtement que que toutes ces missions tournaient autour de ce qu'on appelait pudiquement "la rationalisation des coûts".

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  4. Les technologies de l'information et de la communication (TIC) sont devenues omniprésentes dans le monde professionnel entrainant de profondes modifications des conditions de travail et d’organisation dans les entreprises. Ces nouveaux outils présentent des risques pour le nombre grandissant de cadres qui les utilisent intensivement
    Les risques psychologiques sont à prendre en compte : surcharge informationnelle, perte des limites entre vie professionnelle et privée, disponibilité et interactivité permanentes, nomadisme professionnel, affaiblissement des relations interpersonnelles.
    pour plus d'infos : La prévention des risques professionnels des technologies de l'information et de la communication : http://www.officiel-prevention.com/formation/fiches-metier/detail_dossier_CHSCT.php?rub=89&ssrub=206&dossid=483

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