Pour célébrer l'ouverture du Festival
de Cannes, je vais revenir sur le 2ème acte de l'exception
culturelle française qui est en train de se mettre en place avec la
présentation du rapport Lescure cette semaine. Tout d'abord il faut
rappeler que, comme son nom l'indique, ce n'est qu'un rapport.
L'équipe derrière ce rapport a conduit de nombreux entretiens
avant de rédiger ce rapport et ses 80 propositions, mais ces
propositions n'engagent que leurs auteurs. A présent, c'est au
ministère de la Culture de mener les négociations avec les
différentes branches du monde de la culture puis il faudra passer
les décrets des dispositions le permettant, de rédiger les
propositions de loi correspondants aux résultats de ces négociations
(basées sur les propositions du rapport mais pas uniquement) et pour
d'autres propositions faire en sorte qu'elles prennent place dans la
prochaine loi de finances (loi qui arrivera à l'automne). En résumé,
ce rapport donne des indications au gouvernement, il va falloir voir
ce qu'il en fait à présent.
Deux principales propositions ont été
largement commentées depuis l'annonce du rapport. La première est
la fin proposée d'Hadopi. Le rapport Lescure propose le maintien de
la riposte graduée, c'est à dire l'envoi d'avertissement avant
sanction. La nouveauté est sur les sanctions encourues. Finie la
coupure de connexion après 3 avertissements, la sanction devrait
être financière. Mais pour cette proposition, le conditionnel est
obligatoire. De nombreuses associations sont déjà debout contre
cette pseudo-mort d'Hadopi et le député PS Patrick Bloche a déjà
annoncé qu'il espérait arriver à la fin de la riposte graduée.
Personnellement, j'espère juste que la solution retenue demandera un
budget de fonctionnement bien moindre que l'Hadopi actuelle, surtout
vu les résultats obtenus (1 seule condamnation depuis sa création).
Autre proposition qui a fait grand
bruit, la création d'une taxation sur les appareils connectés. La
raison de cette nouvelle taxe est simple et semble être de bon sens.
Il existe aujourd'hui une taxe sur la copie privée qui s'applique
sur les différents moyens de stockage de données (cd et dvd
vierges, disques durs, clés usb entre autres), mais on peut
légitimement s'attendre que dans les années à venir (d'ici 3 ans
d'après Pierre Lescure) cette taxe ne rapporte presque plus rien à
l'Etat. En effet le mode de vie numérique passe de plus en plus par
l'utilisation de contenu en ligne (entre le streaming pour la musique
et la vidéo, le stockage de données sur le « cloud »,
les jeux en ligne). Dans ce cas, il est nécessaire de trouver une
nouvelle source de revenus pour financer la création culturelle
puisque la source actuelle est en train de se tarir. Cette
proposition est donc une illustration parfaite de la recherche d'un
nouvelle acte de l'exception culturelle en cherchant de nouveaux
moyens plus en cohérence avec son temps pour financer la création
en France.
J'aimerai aussi revenir sur un autre
point assez important dans le rapport Lescure, la chronologie des
médias. La chronologie des médias est le cycle de vie d'un film de
sa sortie au cinéma puis les différentes étapes de sa diffusion.
Aujourd'hui, cette chronologie est
ainsi faite :
Un film qui est sorti au cinéma ce
mercredi 15 mai 2013 sera disponible en DVD et en vidéo à la
demande à l'acte (achat d'un film, hors abonnement) le 15 septembre
2013. Ce film pourra être diffusé pour la première fois à la
télévision (sur Canal+ ou sur une autre chaine payante, comme
Orange) à partir du 15 mars 2014. Si une chaîne de télévision
gratuite veut diffuser ce film en clair, elle devra attendre le 15
mars 2015 (à condition que cette chaîne finance la création
cinématographique, soit les principales chaînes classiques). Si un
internaute est abonné à une chaîne de vidéo en streaming (par
exemple Canalplay, la chaîne de streaming de Canal +), cet
internaute pourra voir notre film le 15 mai 2016. Cela veut dire
qu'aujourd'hui, un abonné à Canalplay dépense 10€ par mois pour
voir des films sortis en salle au début de l'année 2010. Ca ne
donne pas vraiment envie de prendre un abonnement pour visionner des
films en streaming légalement.
Dans sa 7ème proposition, le rapport
Lescure propose différentes idées sur la vidéo à la demande. Une
idée très intéressante et totalement innovante est la mise à
disposition en VOD à l'acte des films au moment de leur sortie en
salle en limitant le public concerné à ceux habitant à plus de 50
km d'une salle de cinéma. Cette solution permettrait de toucher un
public ne se rendant que très rarement au cinéma du fait de son
éloignement géographique. Cette offre de VOD hors abonnement
n'impacterait donc que très légèrement les exploitants de salles
de cinéma.
Autre idée présente dans cette 7ème
proposition, diviser par 2 le délai autorisant la diffusion sur les
sites de vidéo en streaming par abonnement, soit passer de 36 mois à
18 mois. Cette proposition risque de ne pas ravir les patrons de
chaînes de télévision gratuites puisque les films seraient donc
disponibles en streaming 4 mois avant leur première diffusion
possible à la télévision. En revanche cette proposition ne peut
être qu'un grand encouragement pour développer l'offre de streaming
par abonnement. Pour cela, il faudra que ces chaînes de vidéo à la
demande jouent le jeu, mettent en ligne la majeure partie de leur
catalogue et dans des conditions optimales (HD, possibilité de
visionner aussi bien en VF qu'en VO, longue disponibilité). Cet
encouragement ne doit pas être pris à la légère par les acteurs
français de l'offre de vidéo légale en ligne (Canal+, Orange, TF1
et M6 principalement, mais pourquoi pas Dailymotion ou d'autres) car
de gros acteurs étrangers sont en train de préparer leurs armes et
leur arrivée risque d'être difficile à encaisser si nos chers
entrepreneurs français ne sont pas prêts.
Enfin, concernant les séries
étrangères, le rapport Lescure invite dans sa 9ème proposition
« les diffuseurs à poursuivre les efforts pour améliorer les
délais de mise à disposition des séries étrangères en ligne et à
la télévision, notamment en engageant la numérisation des
processus de transmission ».
Comme je l'ai déjà dit lundi soir, je
trouve ce rapport globalement très bon, que ce soit pour le
développement de bibliothèques numériques, le développement de
l'offre légale de vidéo à la demande mais aussi sur des questions
de DRM, notamment dans le monde du livre. Ce sont donc de nombreux
points à suivre pour voir ce qu'il adviendra de ces propositions
après le travail législatif.
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