jeudi 16 mai 2013

Acte II de l'exception culturelle, scène 1

Pour célébrer l'ouverture du Festival de Cannes, je vais revenir sur le 2ème acte de l'exception culturelle française qui est en train de se mettre en place avec la présentation du rapport Lescure cette semaine. Tout d'abord il faut rappeler que, comme son nom l'indique, ce n'est qu'un rapport. L'équipe derrière ce rapport a conduit de nombreux entretiens avant de rédiger ce rapport et ses 80 propositions, mais ces propositions n'engagent que leurs auteurs. A présent, c'est au ministère de la Culture de mener les négociations avec les différentes branches du monde de la culture puis il faudra passer les décrets des dispositions le permettant, de rédiger les propositions de loi correspondants aux résultats de ces négociations (basées sur les propositions du rapport mais pas uniquement) et pour d'autres propositions faire en sorte qu'elles prennent place dans la prochaine loi de finances (loi qui arrivera à l'automne). En résumé, ce rapport donne des indications au gouvernement, il va falloir voir ce qu'il en fait à présent.

Deux principales propositions ont été largement commentées depuis l'annonce du rapport. La première est la fin proposée d'Hadopi. Le rapport Lescure propose le maintien de la riposte graduée, c'est à dire l'envoi d'avertissement avant sanction. La nouveauté est sur les sanctions encourues. Finie la coupure de connexion après 3 avertissements, la sanction devrait être financière. Mais pour cette proposition, le conditionnel est obligatoire. De nombreuses associations sont déjà debout contre cette pseudo-mort d'Hadopi et le député PS Patrick Bloche a déjà annoncé qu'il espérait arriver à la fin de la riposte graduée. Personnellement, j'espère juste que la solution retenue demandera un budget de fonctionnement bien moindre que l'Hadopi actuelle, surtout vu les résultats obtenus (1 seule condamnation depuis sa création).
Autre proposition qui a fait grand bruit, la création d'une taxation sur les appareils connectés. La raison de cette nouvelle taxe est simple et semble être de bon sens. Il existe aujourd'hui une taxe sur la copie privée qui s'applique sur les différents moyens de stockage de données (cd et dvd vierges, disques durs, clés usb entre autres), mais on peut légitimement s'attendre que dans les années à venir (d'ici 3 ans d'après Pierre Lescure) cette taxe ne rapporte presque plus rien à l'Etat. En effet le mode de vie numérique passe de plus en plus par l'utilisation de contenu en ligne (entre le streaming pour la musique et la vidéo, le stockage de données sur le « cloud », les jeux en ligne). Dans ce cas, il est nécessaire de trouver une nouvelle source de revenus pour financer la création culturelle puisque la source actuelle est en train de se tarir. Cette proposition est donc une illustration parfaite de la recherche d'un nouvelle acte de l'exception culturelle en cherchant de nouveaux moyens plus en cohérence avec son temps pour financer la création en France.

J'aimerai aussi revenir sur un autre point assez important dans le rapport Lescure, la chronologie des médias. La chronologie des médias est le cycle de vie d'un film de sa sortie au cinéma puis les différentes étapes de sa diffusion.

Aujourd'hui, cette chronologie est ainsi faite :


Un film qui est sorti au cinéma ce mercredi 15 mai 2013 sera disponible en DVD et en vidéo à la demande à l'acte (achat d'un film, hors abonnement) le 15 septembre 2013. Ce film pourra être diffusé pour la première fois à la télévision (sur Canal+ ou sur une autre chaine payante, comme Orange) à partir du 15 mars 2014. Si une chaîne de télévision gratuite veut diffuser ce film en clair, elle devra attendre le 15 mars 2015 (à condition que cette chaîne finance la création cinématographique, soit les principales chaînes classiques). Si un internaute est abonné à une chaîne de vidéo en streaming (par exemple Canalplay, la chaîne de streaming de Canal +), cet internaute pourra voir notre film le 15 mai 2016. Cela veut dire qu'aujourd'hui, un abonné à Canalplay dépense 10€ par mois pour voir des films sortis en salle au début de l'année 2010. Ca ne donne pas vraiment envie de prendre un abonnement pour visionner des films en streaming légalement.

Dans sa 7ème proposition, le rapport Lescure propose différentes idées sur la vidéo à la demande. Une idée très intéressante et totalement innovante est la mise à disposition en VOD à l'acte des films au moment de leur sortie en salle en limitant le public concerné à ceux habitant à plus de 50 km d'une salle de cinéma. Cette solution permettrait de toucher un public ne se rendant que très rarement au cinéma du fait de son éloignement géographique. Cette offre de VOD hors abonnement n'impacterait donc que très légèrement les exploitants de salles de cinéma.

Autre idée présente dans cette 7ème proposition, diviser par 2 le délai autorisant la diffusion sur les sites de vidéo en streaming par abonnement, soit passer de 36 mois à 18 mois. Cette proposition risque de ne pas ravir les patrons de chaînes de télévision gratuites puisque les films seraient donc disponibles en streaming 4 mois avant leur première diffusion possible à la télévision. En revanche cette proposition ne peut être qu'un grand encouragement pour développer l'offre de streaming par abonnement. Pour cela, il faudra que ces chaînes de vidéo à la demande jouent le jeu, mettent en ligne la majeure partie de leur catalogue et dans des conditions optimales (HD, possibilité de visionner aussi bien en VF qu'en VO, longue disponibilité). Cet encouragement ne doit pas être pris à la légère par les acteurs français de l'offre de vidéo légale en ligne (Canal+, Orange, TF1 et M6 principalement, mais pourquoi pas Dailymotion ou d'autres) car de gros acteurs étrangers sont en train de préparer leurs armes et leur arrivée risque d'être difficile à encaisser si nos chers entrepreneurs français ne sont pas prêts.

Enfin, concernant les séries étrangères, le rapport Lescure invite dans sa 9ème proposition « les diffuseurs à poursuivre les efforts pour améliorer les délais de mise à disposition des séries étrangères en ligne et à la télévision, notamment en engageant la numérisation des processus de transmission ».

Comme je l'ai déjà dit lundi soir, je trouve ce rapport globalement très bon, que ce soit pour le développement de bibliothèques numériques, le développement de l'offre légale de vidéo à la demande mais aussi sur des questions de DRM, notamment dans le monde du livre. Ce sont donc de nombreux points à suivre pour voir ce qu'il adviendra de ces propositions après le travail législatif.

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