jeudi 15 janvier 2015

Loin de l'école, point de salut ?

Après les événements de la semaine dernière, le temps devient celui de la réflexion, de l’analyse. Comme le rappelait Manuel Valls dans un très beau discours à l’Assemblée Nationale, la France est en guerre contre le terrorisme. Ce ne sont pas les terroristes français qui ont poussé la France dans cette guerre puisque nos militaires sont déjà au front depuis 2013 en intervenant au Mali, en Centrafrique et en Irak. Il a profité de l’occasion pour rappeler que si la France est en guerre contre le djihadisme et le terrorisme, elle "n’est pas en guerre contre l’islam et les Musulmans", contrairement ce qu’ont pu penser les extrémistes défilant contre l’islamisation de la France.

Manuel Valls, ex-premier flic de France et toujours accolé à cette image sécuritaire, n’a pas (pas encore ?) fait le faux-pas vers une dérive sécuritaire comme les Américains ou les Anglais ont pu le faire quand ils furent victime eux aussi du terrorisme. "A une situation exceptionnelle doivent répondre des mesures exceptionnelles. Mais je le dis aussi avec la même force : jamais des mesures d’exception qui dérogeraient aux principes du droit et des valeurs." 
Heureusement, aurions-nous envie de dire quand on se rappelle que la précédente loi anti-terroriste fut votée en fin d’année 2014 et prévoit déjà une lutte active contre le djihadisme. Le Premier Ministre l’a souligné mardi dernier :
"Le Parlement a déjà voté deux lois anti terroristes encore il y a quelques semaines à une très large majorité, les décrets d’application sont en cours de publication. Le Parlement s’est déjà saisi des questions relatives aux filières djihadistes."
Il a même souligné l’action du ministère de la Justice et implique celle-ci dans l’accompagnement du personnel qui doit gérer au jour le jour ces personnes attirées par le djihad, en premier lieu les personnes de la protection judiciaire de la jeunesse. Et quel symbole de finir son discours en mettant en avant l’importance de l’éducation. Pour Manuel Valls, la clef est l’apprentissage de la laïcité dans l’éducation nationale. Le même jour, Najat Vallaud-Belkacem rappelait que tous les enseignants stagiaires recevaient une formation sur la laïcité dans les nouvelles ESPE.

Il faut voir plus loin, plus grand que la question de la laïcité. La ministre précisait mardi que l’école "n’est ni la cause de tous les maux, ni le remède à toutes les difficultés de la société."  Elle ne peut pas être la cause car on n’apprend pas à l’école à détester son voisin, à se tourner vers l’extrémisme quel qu’il soit. Elle ne peut pas être non plus le remède à toutes les difficultés sinon cela signifierait que l’on laisse sur le côté tous ceux qui sont sortis du système scolaire. Pourtant l’école à une place prépondérante et peut expliquer beaucoup de maux non pas de la France mais de sa jeunesse.

Je suis intimement convaincu que c’est dans les cours de l’école que les plus jeunes découvrent l’attrait du radicalisme, radicalisme religieux, mais aussi radicalisme politique. Il suffit de regarder qui peuple les groupuscules d’extrême-droite comme le Bloc Identitaire ou ceux d’extrême-gauche comme les confédérations anarchistes. On retrouve la même chose dans le recrutement de postulant-e-s au djihad. Je suis aussi intimement convaincu que ce n’est pas en améliorant la formation de nos enseignants que l’on résoudra le problème. Certes ils seront mieux armés face à ces jeunes qu’ils ne comprennent pas tout le temps mais ce n’est pas ceci qui changera le résultat global. Si un jeune éduqué dans l’islam ou convertit dans son adolescence se tourne vers l’extrémisme, c’est en réaction à une injustice ressentie, souvent celle de l’abandon par rapport aux autres. Par exemple, élevé à Grigny, il comprend assez vite que s’il veut avoir autant de chance de réussir qu’un camarade étudiant en centre-ville calme, il devra trimer beaucoup plus. Même mécanisme avec un jeune en périphérie de grande ville ou en rase campagne qui va se tourner vers l’extrême-droite. Il aura ce sentiment d’abandon car pour lui tout sera fait pour les populations des banlieues dortoir, comme Grigny par exemple (oui là où l’autre jeune du même âge se sent abandonné par rapport au centre ville).

Le rôle de l’école, puis de l’enseignement supérieur, est de permettre une réelle égalité des chances. Aujourd’hui, cette égalité n’existe pas. C’est même cette inégalité qui fait que tout risque de dégénérer à un moment ou un autre. C’est ce sentiment d’abandon qui fait prospérer le vote FN à chaque élection mais surtout qui fait croitre l’abstention. Heureusement, personne ne m’a attendue pour faire ce constat, Najat Vallaud Belkacem le répétait mardi également :
"Évidemment, nous n’avons pas attendu les évènements dramatiques des derniers jours pour poser ces constats et y apporter des réponses : l’enjeu de la refondation de l’école est tout entier là, dans ce double défi de rétablir la performance du système éducatif, en assurant la réussite du plus grand nombre et en luttant contre le déterminisme social, et de rendre à l’école sa mission et sa place de vivier de citoyenneté, capable de former des citoyens éclairés, de transmettre et de faire partager les valeurs de la République. L’école est forte quand elle est capable de relever ces défis éducatifs, scolaires et citoyens."

La ministre a rappelé que les réformes commencées dès l’arrivée de François Hollande au pouvoir en 2012 sont là pour redonner foi en l’éducation. Une meilleure formation des enseignants pour ne plus avoir l’impression que les enfants des quartiers défavorisés soient sacrifiés sur l’autel de l’apprentissage des jeunes professeurs, une réforme du financement des établissements pour être plus efficace dans le ciblage de ceux qui en ont réellement besoin, le choix de donner une place véritable à l’enseignement numérique pour ne plus laisser ces jeunes citoyens seuls face à leur PC et les risques d’un internet non maitrisé ou non compris, voila tant de points (et ils ne sont pas exhaustifs) qui donnent confiance en un avenir meilleur. Mais cet espoir est pourtant mince et s’assombrit rapidement. Pour qu’une politique éducative soit efficace, il faut la mener sur le long terme. Cinq années ne sont pas suffisantes pour mener à bien une refondation de l’école. Le double permettrait à peine de voir les résultats sur les premiers bacheliers ayant eu toutes les chances de leurs côtés. 

Comment avoir espoir dans l’avenir de notre école, dans sa refondation, quand on entend ce que l’opposition a fait ou prévoit de faire contre l’éducation. Refuser l’apprentissage de l’égalité des sexes dès le plus jeune âge, c’est donné des arguments aux futurs extrémistes méprisant les femmes. Réduire les moyens humains de l’éducation nationale comme ceux d’une vulgaire administration, c’est agrandir le gouffre qui sépare les milieux les plus favorisés de ceux qui ont le plus besoin d’être accompagnés. Critiquer ouvertement les capacités du corps enseignant, dénigrer systématiquement la charge de travail des personnels de l’éducation national aide à saper toute autorité et tout respect. Quand des jeunes n’ont ni respect, ni confiance dans le système éducatif, il ne faut pas s’étonner qu’ils finissent par se tourner vers le pire.

La santé de l’éducation nationale n’est pas sereine, elle est même balbutiante après tant d’années à recevoir des coups à sa base. Il faudra beaucoup d’efforts, il faudra beaucoup de temps, avant que la confiance ne revienne, à condition que l’on continue de croire dans cette magnifique fabrique à citoyens et que l’on continue de se donner les moyens pour sa guérison. 


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4 commentaires:

  1. Tu as vu des "extrémistes" défilant contre l'islamisation de la France, toi ? Où ça ?

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  2. Par exemple Yves de Kerdrel (patron de Valeurs Actuelles), cf. son tweet et la réponse du Crif qui a suivi.

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  3. Le "très beau discours" de Valls a érté pondu par d'autres, comme chacun le sait. Inutile de s'extasier!
    Quant à la "magnifique fabrique à citoyens", je rigole et n'en dirai pas plus!

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    1. Et votre bêtise, quelqu'un vous a aidé à la pondre ?

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